L’exprès pour Genève du 22 février 1921

Cette lettre de la Représentation diplomatique de la République Géorgienne à Paris est classique en apparence mais elle porte les traces d’une histoire trouble, d’une République géorgienne « coincée entre la faucille et le croissant », qui devait s’écrire dans l’urgence, mais que même un recommandé en exprès ne changea pas, comme nous allons tenter de le voir.

exprès genève

Elle est adressée à Monsieur Chavichvili, représentant de la Géorgie à la Société des Nations, à Genève, le 22 février 1921 par la représentation diplomatique de la République géorgienne à Paris, située avenue Victor Hugo. La composition de l’affranchissement est accord avec l’objet : il s’agit d’une lettre pour l’étranger, affranchie à l’aide de deux semeuses camées à 25c, l’une pour le port de la lettre, l’autre pour la taxe de recommandation à 25c. Le port en exprès à 30c est matérialisé par deux semeuses lignées à 15c, ce qui correspond parfaitement au tarif de l’époque, celui qui était en place depuis le 1er mai 1910. Le cachet du bureau de poste de l’avenue Victor Hugo s’accorde en outre totalement avec l’adresse de la Représentation diplomatique, laquelle était située au 44 de cette même avenue. Nous sommes donc bien en présence d’une lettre recommandée en exprès de Paris pour Genève et ce n’est donc pas sur ce plan qu’il faut chercher ce qui rend cette lettre remarquable. Ce qui la rend remarquable, c’est l’intervalle de temps pendant lequel elle a été postée. Car, en fait, tout ici est dans la date et on va voir que l’exprès était particulièrement souhaité, mais qu’il ne servit sans doute pas.

Mais d’abord le contexte. La Géorgie, placée sous l’autorité de la Russie depuis 1801, proclama son indépendance le 26 mai 1918, à la faveur de la Révolution russe et de l’invasion allemande. Toutefois, elle dut céder à l’Empire ottoman les territoires peuplés de minorités musulmanes. Une Assemblée constituante fut réunie en 1919 et approuva une Constitution le 22 février 1921. Or, entre temps, les Allemands avaient perdu la guerre et les autorités communistes russes avaient pris l’offensive en vue de reconquérir le Caucase.

En effet, sous la pression de Staline, d’origine géorgienne, cette indépendance fut remise en cause par Lénine le 14 février 1921 lorsqu’il donna l’ordre d’envahir la Géorgie pour soutenir les «paysans et les travailleurs révolutionnaires» dans le pays. Ce qui fut fait dès le lendemain, 15 février.

Le 21 février, en marge de la Conférence de Londres qui venait de s’ouvrir pour s’occuper des affaires allemandes et du problème oriental, un accord était trouvé entre la Turquie et la Russie soviétique. Car celle-ci ne voulait pas envahir seule ce pays : elle promit à la Turquie de lui céder deux provinces qui avaient été intégrées dans l’Empire russe après la guerre russo-turque de 1877-1878, par le traité de San Stefano afin de l’inciter, par intérêt, à s’unir à elle pour soutenir l’occupation de la Géorgie. Ainsi, pendant que les troupes géorgiennes combattaient les Russes, les Turcs envahissaient le territoire le 23 février. Tbilissi fut prise le lendemain, 24 février, par les soviétiques et la République socialiste soviétique de Géorgie fut proclamée le 25 février 1921. Toutes ces tractations ont par ailleurs été confirmées en octobre de la même année au traité de Kars. Et entre la proclamation de la Constitution et la chute du régime, il s’était donc passé trois jours.

Revenons en donc à notre lettre adressée au représentant de la Géorgie à Genève. Devait il annoncer la nouvelle Constitution ? Rechercher le soutien des puissances occidentales contre les soviets et les turcs en avertissant ces mêmes puissances de la menace qui pesait sur la Géorgie ? Annoncer l’invasion des turcs qui ne se limitaient donc pas à renégocier le traité de Sèvres à Londres mais agissaient bel et bien. Il s’est passé trois jours pendant lesquels le gouvernement géorgien a tenté, en vain, de rechercher l’appui de l’occident pour s’opposer et à la Russie soviétique et à la Turquie. Et c’est dans l’urgence de ces trois jours que fut postée notre lettre. Ce qui justifiait largement cet envoi recommandé international en exprès, mais même s’il fût averti assez tôt, le représentant géorgien ne put infléchir le cours de l’histoire.

Timbre le plus célèbre (et le plus cher!) au monde

Pour une fois on parlera d’un autre timbre…

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« Un minuscule timbre octogonal datant du XIXe siècle, le One-Cent Magenta, a été vendu mardi 17 juin à New York pour 9,5 millions de dollars (7,01 millions d’euros) pulvérisant le précédent record pour un timbre aux enchères. Exemplaire unique, il avait été estimé à entre 10 et 20 millions de dollars par la maison d’enchères Sotheby’s. »

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/06/18/plus-de-7-millions-d-euros-debourses-pour-un-timbre-a-new-york_4440166_3222.html

Tout le monde en philatélie ou presque connait l’histoire maintes fois racontée de ce timbre. Elle est accessible sur wikipedia ici par exemple (en anglais) pour les néophytes, dans la presse spécialisée un peu partout ailleurs.

Ce qui me fait réagir à cette vente aujourd’hui, ce n’est pas tant la vente que la relation de celle ci faite par le monde dans son édition en ligne de ce matin. Et pour le commentaire :

Charele 18/06/2014 – 07h18 – Un bateau, quel bateau ? Besides, une telle transaction est simplement scandaleuse.

C’est vrai ça, où est le bateau sur cette reproduction dans la presse nationale : eh oui, on ne voit pas le bateau, et pour cause, le monde nous donne à voir le VERSO du timbre !

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Encore heureux qu’il soit à l’endroit… certains journaux le présentent tête en bas ! Du coup, très dur de voir le bateau imprimé de l’autre côté, et toute la vision est dissimulée par les cachets d’experts (http://postalmuseumblog.si.edu/2014/05/one-cent-magenta-from-british-guiana-visits-national-postal-museum.html).

Quant au scandale d’un tel prix… Certes, c’est immensément cher et c’est bien ça qui est retenu ici et ce n’est que cela, car en vrai, le peu de soin apporté à la reproduction (à l’envers, tête en bas etc) montre bien que ce qui attire le journaliste, c’est d’abord l’idée du prix, du choc que cela peut produire, de la connivence que cela peut créer avec le lecteur !

Ce n’est plus de l’information (où est le Guyana, qui étaient les collectionneurs – Ferrary (né Ferrari, filleul de Philippe d’Orléans, comte de Paris, légua sa collection à Berlin car c’était le seul musée postal existant à l’époque) mériterait bien quelques lignes,  – pourquoi est il resté unique…), c’est juste un scoop de plus. Mais sans doute ceci qui demande un peu de lecture, d’intérêt, de passion n’est pas dans l’air du temps, sans doute, il vaut mieux là aussi choquer le lecteur pour l’attirer (même sur internet) plutôt que de tenter d’enrayer sa disparition par des articles de meilleure qualité.