Marques de service de l’arrière et marques militaires de l’intérieur

I – Marques de service de l’arrière

A – Cachets des Gares de Rassemblement

 

Au moment de la déclaration de guerre, toute la correspondance pour les mobilisés devait être acheminée sur le dépôt du corps d’armée auquel ils appartenaient. En effet, le public ignorait si un homme était encore en zone intérieure ou déjà en zone des armées, et le cas échéant, sur quelle partie du front il se trouvait. Le courrier destiné aux armées était trié par les vaguemestres qui le remettait à la poste civile pour l’expédier sur un bureau spécial nommé Gare de Rassemblement, non loin d’une grande gare.

Ces bureaux de rassemblement « rassemblaient » donc tout le courrier et le dirigeaient soit sur le Bureau Central Militaire, (BCM) soit vers un bureau-frontière. Le BCM, situé à Paris, (il y eut un court moment où le BCM fut à Bordeaux, il y eut aussi un BCM à Marseille pour l’armée navale), faisait le tri et acheminait les correspondances vers les bureaux-frontière. Ces derniers étaient nommés ainsi, non pas parce qu’ils se trouvaient au contact d’une frontière de la République, mais dans une zone entre administration postale civile et administration postale militaire, ou si l’on préfère entre une zone des combats, dite zone des armées et une zone en dehors des combats, dite zone de l’intérieur.

D’après Strowski, il y eut 24 gares de rassemblement. Aux vingt premières du plan initial d’entrée en guerre s’ajoutèrent en effet, un 21ème gare correspondant au 21ème corps métropolitain, puis une autre pour le 22ème corps colonial. Deux autres gares complétèrent le dispositif: l’une pour les correspondances et paquets pour les troupes du sud-est envoyées en Afrique et une autre pour le 31ème corps, qui n’eut cependant pas de cachet postal.

Ces cachets existent en noir mais aussi dans d’autres couleurs, indifféremment. Ils étaient complétés par une griffe linéaire horizontale composée de deux rectangles superposés. Parfois le cachet est donné par une empreinte négative du cachet destiné aux scellements à la cire. Sauf exception, ils n’ont pas été apposés sur les lettres destinées aux particuliers.

rassemblement

Le 22 octobre 1914, décision fut prise de pouvoir envoyer directement les correspondances au BCM. Avec l’invention des secteurs postaux, les gares de rassemblement n’eurent plus de raison d’être et, en août 1915, elles furent supprimées.

Schéma explicatif (d’après Strowski)

BCM : SP.png

B – Les Bureaux Centraux Militaires

1) Le BCM de Paris

Tant que les gares de rassemblement fonctionnèrent à peu près, le BCM ne fut pas réellement au cœur du système postal : son rôle était essentiellement de trier les correspondances vers les bureaux frontière. En septembre 1914, le BCM s’installa, avec le gouvernement, provisoirement et pendant le temps de la bataille de la Marne, à Bordeaux.

bcm-parisIl revint à Paris néanmoins dès la fin septembre 1914 : ceci fit que le nom de Paris sur l’estampille fut limé, laissant un vide, avant d’être rebaptisé « Bureau Cal Milre Postal * Paris * ».

bcm-paris

En octobre fut créé un bureau annexe, nommé « Postes BCM Conservatoire ». Le central militaire acheminait aussi le courrier du front vers l’arrière, dans une « section auxiliaire ». Aucun de ces trois bureaux n’a réellement pu apposer sa marque sur les correspondances en transit, pour autant les trois furent dotés de la griffe horizontale linéaire composée de deux rectangles superposés.

bcm-conservatoire

De très nombreux cachets et griffes existent par ailleurs, pour la plupart destinés au classement et à l’acheminement des sacs. On note aussi une marque administrative correspondant à la Direction du bureau, pour les plis qui en émanaient.

2) le BCM de Marseille

Ce bureau a été installé à Marseille définitivement le 1er février 1915, soit avant le bureau naval. Il a exactement le même rôle pour l’Armée d’Orient que le BCM de Paris pour les armées de métropole. Contrairement à Paris, il ne présente qu’un cachet « Bureau Cal Milre Postal *Marseille* », qu’une griffe linéaire et qu’une marque administrative de Direction.

C – Les Bureaux frontière

Le rôle premier de ces bureaux est d’acheminer les correspondances dans les deux sens, de l’arrière vers le front et réciproquement. S’ils n’apposent pas leurs marques sur les courriers en provenance du front (opération déjà réalisée par le secteur postal), ils le font en revanche dans l’autre sens. Ces bureaux étaient associés le plus souvent à la gare régulatrice la plus proche. Au total, on en compte quatorze, chiffre qui devient onze lorsque l’Italie sortie de la neutralité en 1915 pour entrer dans l’Entente.

Ces bureaux sont inscrits dans une nomenclature en lettres et non numérotés. Ils reçurent des lettres jusqu’à N, sans le J qu’on pouvait confondre avec le I, mais avec un bureau W. On distingue des griffes horizontales et des cachets circulaires. Les griffes horizontales sont composées, comme pour les gares de deux rectangles superposés. Ces bureaux apposaient leurs cachets essentiellement sur des plis de service, ou sur des lettres philatéliques. Dans le cas où le courrier émanent du front n’avait pas reçu d’estampille du vaguemestre, le bureau frontière apposait néanmoins son cachet, afin d’assurer la franchise, mais en ôtant en principe la date et la lettre du bureau. Comme on peut le voir ci dessous, ce principe n’a pas été toujours respecté. Les cachets circulaires sont de deux types, l’un mentionne clairement le BUREAU FRONTIERE, l’autre la POSTE AUX ARMEES.

Griffe horizontale « bureau frontière »

Bureau Frontière B, pour Handsworth, Angleterre, 23 octobre 1914
Cachet avec mention « bureau frontière »

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Bureau Frontière E, pour Port Taufiq, (aujourd’hui Suez) Égypte, 20 décembre 1918
Cachet « poste aux armées » sans mention

Le cachet POSTE AUX ARMEES ne donne que la lettre encadrée ou non par deux étoiles, la levée est remplacée par une étoile. Enfin, en 1917, on lima la lettre afin de rendre l’identification impossible.

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Bureau Frontière D, Postes aux Armées, pour Londres (Royaume Uni), 19 mai 1916, cachet noir, avec deux étoiles. La marque « contrôlé par l’autorité militaire » est apposée par les autorités militaires et non par la Commission de Contrôle Postal.
frontiere-f-jpgBureau Frontière F, Postes aux Armées, pour Bologne, Italie, 14 février 1917, cachet noir, avec deux étoiles

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Bureau Frontière E, Postes aux Armées, pour Rouen, 3 mars 1915, cachet rouge, sans étoile

Il existe pour terminer cette description une foule de marques annexes, non réellement postales, qui servaient probablement d’adresse pour les sacs.

D – Les Ambulants militaires des « Trains de rocade »

En parallèle du front s’établit un système de trains permettant de transporter d’un point à un autre de ce front hommes engagés au combat, permissionnaires, matériels, denrées et bien sûr courrier. Ces trains sont dits Trains de Rocade. D’après Strowski, il y avait quatre lignes qui chacune composée de deux brigades pour assurer toute cette communication.

• 1A et 1B de Dunkerque à Amiens,
• 2A et 2B d’Amiens au Bourget,
• 3A et 3B du Bourget à Troyes,
• 4A et 4B de Troyes à Gray.

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Ces ambulants, qui recevaient peu de courrier, furent supprimés en janvier 1916, un an après leur création.

II – Marques militaires de l’intérieur

A – Bureaux spéciaux

Avec la mobilisation, la poste civile, même très efficace fut par endroit incapable de faire face à l’afflux de correspondances dans des zones exclusivement militaires : c’est le cas des casernes, des camps, des cantonnements, de certains bureaux civils de quartier ayant développé un usage exclusivement militaire. Ainsi on a créé l’estampille du camp de Mailly, dans l’Aube, avec cachet à date transformé : « Mailly Camp » étant devenu « Mailly Militaire » , ou de Toulon qui s’est doté alors non pas d’un cachet à date, mais d’une griffe linéaire.

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Camp de Mailly (Aube) dont l’empreinte est devenue « Mailly Militaire » durant la guerre pour le rester ensuite. Mailly, 21 septembre 1920 pour Besançon.

La même chose exista à Épinal après création d’un bureau militaire en décembre 1914.

Dépôt militaire d’Épinal

Dépôt militaire d’Épinal

Ailleurs, les établissements de la Défense Nationale reçurent des cachets à date de type poste civile, créés pour la circonstance, comme par exemple le cachet de la POUDRERIE Nationale D’ANGOULEME.

B – Marques des vaguemestres

1) Le retour à l’envoyeur

Tout comme ceux du front, les vaguemestres des dépôts durent faire face et à l’abondance de la correspondance et à la difficulté de l’acheminement. Pour les plis recommandés, on a très vite pratiqué le retour à l’envoyeur. Les autres correspondances restaient cependant en souffrance. Le 6 décembre 1914, le ministère décida de liquider toute cette correspondance : toutes les lettres furent traitées, certaines renvoyées aux expéditeurs, d’autres aux rebuts.

Cette circulaire imposait à tous une estampille commune : LE DESTINATAIRE N’A PU ÊTRE JOINT EN TEMPS UTILE. Il y en eut de toutes les couleurs et de toutes les formes, sur une ou plusieurs lignes. Plus tard l’expression fut modifiée, « JOINT » devint « ATTEINT », et « EN TEMPS UTILE » devient « EN TEMPS VOULU », puis fut supprimée.

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Le destinataire n’a pu être atteint en temps utile

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Retour à l’envoyeur, le destinataire n’a pu être atteint, 14 novembre 1915

Pour indiquer le renvoi sur le bureau initial, on apposa en accord avec le bureau de poste civile de la localité la griffe « RETOUR / A L’ENVOYEUR / Numéro » Ce numéro étant un numéro d’ordre de la nomenclature des bureaux.

2) Acheminement impossible

Dans certain cas, du fait de l’interruption du service postal, l’acheminement devenait objectivement impossible. Pour retourner le courrier à l’expéditeur, du moins au service initial, on apposa alors le cachet « LIEU DE DESTINATION ENVAHI » puis la griffe « ACHEMINEMENT IMPOSSIBLE » qu’on ne doit pas confondre avec la précédente. Ce fut le cas en août 1914 lorsque le service a été interrompu avec l’Allemagne ou l’Autriche, par exemple.

Amiens, 30 août 1914 pour Gueudecourt (Somme) : rupture du service postal, « Lieu de destination envahi »

Ce fut le cas aussi pour la Russie, après que ce pays avait signé l’armistice de Brest Litovsk avec l’Allemagne en décembre 1917 après le Révolution d’Octobre.

Paris, 7 janvier 1918 pour Moscou : Acheminement impossible du fait de la rupture du service postal
3) Autres mentions

Il existe des centaines, sans doute, de marques de nature postale pour donner la franchise à l’intérieur aux militaires. Certaines marques sont des griffes linéaires de fabrication locales, ainsi la griffe du dépôt des éclopés ce dessous :

depot-eclopes-png depot-eclopes-franchise

Griffe linéaire du dépôt des éclopés, 24 octobre 1915, pour Londres, Royaume Uni

Cependant, très souvent on retrouva l’ancienne marque de Franchise Militaire, en modernisant ce matériel : au centre on mit le plus souvent « service postal », ou « service des postes ».

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Cachet rond avec mention « service postal », dépôt du 102ème régiment d’artillerie lourde, 26 août 1917, pour Solliat, Suisse
depot-chaumont-pngCachet rond avec mention « service postal », dépôt du 109ème régiment d’infanterie, 16 septembre 1915, pour Genève, Suisse

Enfin, on ne mit bientôt plus que le simple titre de « vaguemestre » autour en cercle, la nature ou le lieu : « convois automobiles », « dépôt de … », « école militaire de… », ou encore un cachet de type déesse assise :

LSE 13 08:15 Angleterre
Intendance militaire de Dijon, 13 août 1915, pour Londres, Royaume Uni

Quand une correspondance est à destination d’un inconnu, on doit le préciser : « inconnu au dépôt », « inconnu aux hôpitaux », « inconnu au dépôt d’Éclopés » etc. et, lorsqu’il n’y a aucune indication de provenance sur la correspondance, il faut faire retour au service des rebuts. Dès lors la pièce est retournée par le service des Rebuts de Paris et la griffe linéaire classique des rebuts est apposée sur deux lignes : « Bureau Central des Rebuts / Paris ». Quelques vaguemestres utilisèrent cependant des griffes linéaires de fabrication locale pour indiquer ce versement au service directement.