Marques de service de l’arrière et marques militaires de l’intérieur

I – Marques de service de l’arrière

A – Les ambulants de mobilisation

Le 3 août 1914, un décret plaça le service ferroviaire sous autorité militaire, mobilisant tous les réseaux pour les besoins militaires jusqu’en 1919. Entre août et octobre 1914, au pic de la mobilisation, onze lignes furent réservées aux militaires, avant un retour progressif des trains aux civils.

Les wagons postaux des trains de transport de troupes devinrent des bureaux ambulants, gérés par des postiers civils réquisitionnés. Avec l’allongement des trajets, leur travail fut divisé en sections, identifiables par des oblitérations : 1/2/3 Son, correspondant à la 1ère, 2ème et 3ème section (cette dernière pour les trajets longs, comme Bordeaux ou Brest vers Paris, atteignant parfois 30 heures).

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ANGERS à PARIS 2° – 1ère section 13 octobre 1914. On notera les vignettes de la société de secours aux blessés militaires. Tarif à 25c pour l’étranger.

Beaucoup de ces oblitérations n’ont été utilisées que d’août à octobre, mais certaines oblitérations ambulantes, sans nom de section, sont restées en service plus longtemps : Montauban à Limoges 1919, Nantes à Quimper 1921, Nice à Marseille jusqu’en 1920, Montargis 1928, Caen au Mans 1929, Soissons à Paris jusqu’en 1935.

B – Cachets des Gares de Rassemblement

Lors de la déclaration de guerre, le courrier destiné aux mobilisés était envoyé au dépôt du corps d’armée correspondant, car le public ignorait souvent si un soldat était encore en zone intérieure ou déjà au front. Les vaguemestres triaient ces correspondances et les transmettaient à la poste civile, qui les dirigeait vers des bureaux nommés « Gares de Rassemblement », situés près de grandes gares.

Ces bureaux rassemblaient le courrier pour l’envoyer soit au Bureau Central Militaire (BCM) à Paris, soit vers des bureaux-frontières. Les bureaux-frontières étaient situés entre la zone civile et la zone militaire, c’est-à-dire entre la zone des armées (combats) et la zone de l’intérieur. Le BCM, d’abord à Paris puis brièvement à Bordeaux et Marseille (pour l’armée navale), triait et acheminait le courrier vers les bureaux-frontières.

D’après Strowski, il existait 24 gares de rassemblement. À 20 gares prévues initialement, s’ajoutèrent celles pour le 21ᵉ corps métropolitain, le 22ᵉ corps colonial, les troupes du sud-est envoyées en Afrique, et le 31ᵉ corps (sans cachet postal).

Les cachets utilisés dans ces gares étaient noirs ou colorés, parfois complétés par des griffes linéaires ou des empreintes négatives des sceaux à la cire. Ces cachets apparaissaient rarement sur les lettres destinées aux particuliers.

CACHET RASSEMBLEMENT 12° CORPS  – ENVELOPPE du COMMISSAIRE
de la GARE de Saint Sulpice (Haute Vienne)

Le 22 octobre 1914, décision fut prise de pouvoir envoyer directement les correspondances au BCM. Avec l’invention des secteurs postaux, les gares de rassemblement n’eurent plus de raison d’être et, en août 1915, elles furent supprimées.

Schéma explicatif (d’après Strowski)

BCM : SP.png

C – Les Bureaux Centraux Militaires

1) Le BCM de Paris

Tant que les gares de rassemblement fonctionnèrent à peu près, le BCM ne fut pas réellement au cœur du système postal : son rôle était essentiellement de trier les correspondances vers les bureaux frontière. En septembre 1914, le BCM s’installa, avec le gouvernement, provisoirement et pendant le temps de la bataille de la Marne, à Bordeaux.

bcm-parisIl revint à Paris néanmoins dès la fin septembre 1914 : ceci fit que le nom de Paris sur l’estampille fut limé, laissant un vide, avant d’être rebaptisé « Bureau Cal Milre Postal * Paris * ».

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En octobre fut créé un bureau annexe, nommé « Postes BCM Conservatoire ». Le central militaire acheminait aussi le courrier du front vers l’arrière, dans une « section auxiliaire ». Aucun de ces trois bureaux n’a réellement pu apposer sa marque sur les correspondances en transit, pour autant les trois furent dotés de la griffe horizontale linéaire composée de deux rectangles superposés.

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De très nombreux cachets et griffes existent par ailleurs, pour la plupart destinés au classement et à l’acheminement des sacs. On note aussi une marque administrative correspondant à la Direction du bureau, pour les plis qui en émanaient.

2) le BCM de Marseille

Ce bureau a été installé à Marseille définitivement le 1er février 1915, soit avant le bureau naval. Il a exactement le même rôle pour l’Armée d’Orient que le BCM de Paris pour les armées de métropole. Contrairement à Paris, il ne présente qu’un cachet « Bureau Cal Milre Postal *Marseille* », qu’une griffe linéaire et qu’une marque administrative de Direction.

D – Les Bureaux frontière

Le rôle premier de ces bureaux est d’acheminer les correspondances dans les deux sens, de l’arrière vers le front et réciproquement. S’ils n’apposent pas leurs marques sur les courriers en provenance du front (opération déjà réalisée par le secteur postal), ils le font en revanche dans l’autre sens. Ces bureaux étaient associés le plus souvent à la gare régulatrice la plus proche. Au total, on en compte quatorze, chiffre qui devient onze lorsque l’Italie sortie de la neutralité en 1915 pour entrer dans l’Entente.

Ces bureaux sont inscrits dans une nomenclature en lettres et non numérotés. Ils reçurent des lettres jusqu’à N, sans le J qu’on pouvait confondre avec le I, mais avec un bureau W. On distingue des griffes horizontales et des cachets circulaires. Les griffes horizontales sont composées, comme pour les gares de deux rectangles superposés. Ces bureaux apposaient leurs cachets essentiellement sur des plis de service, ou sur des lettres philatéliques. Dans le cas où le courrier émanent du front n’avait pas reçu d’estampille du vaguemestre, le bureau frontière apposait néanmoins son cachet, afin d’assurer la franchise, mais en ôtant en principe la date et la lettre du bureau. Comme on peut le voir ci dessous, ce principe n’a pas été toujours respecté. Les cachets circulaires sont de deux types, l’un mentionne clairement le BUREAU FRONTIERE, l’autre la POSTE AUX ARMEES.

Griffe horizontale « bureau frontière »

Bureau Frontière B, pour Handsworth, Angleterre, 23 octobre 1914
Cachet avec mention « bureau frontière »

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Bureau Frontière E, pour Port Taufiq, (aujourd’hui Suez) Égypte, 20 décembre 1918
Cachet « poste aux armées » sans mention

Le cachet POSTE AUX ARMEES ne donne que la lettre encadrée ou non par deux étoiles, la levée est remplacée par une étoile. Enfin, en 1917, on lima la lettre afin de rendre l’identification impossible.

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Bureau Frontière D, Postes aux Armées, pour Londres (Royaume Uni), 19 mai 1916, cachet noir, avec deux étoiles. La marque « contrôlé par l’autorité militaire » est apposée par les autorités militaires et non par la Commission de Contrôle Postal.
frontiere-f-jpgBureau Frontière F, Postes aux Armées, pour Bologne, Italie, 14 février 1917, cachet noir, avec deux étoiles

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Bureau Frontière E, Postes aux Armées, pour Rouen, 3 mars 1915, cachet rouge, sans étoile

Il existe pour terminer cette description une foule de marques annexes, non réellement postales, qui servaient probablement d’adresse pour les sacs.

E – Les Ambulants militaires des « Trains de rocade »

En parallèle du front s’établit un système de trains permettant de transporter d’un point à un autre de ce front hommes engagés au combat, permissionnaires, matériels, denrées et bien sûr courrier. Ces trains sont dits Trains de Rocade. D’après Strowski, il y avait quatre lignes qui chacune composée de deux brigades pour assurer toute cette communication.

• 1A et 1B de Dunkerque à Amiens,
• 2A et 2B d’Amiens au Bourget,
• 3A et 3B du Bourget à Troyes,
• 4A et 4B de Troyes à Gray.

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Ces ambulants, qui recevaient peu de courrier, furent supprimés en janvier 1916, un an après leur création.

II – Marques militaires de l’intérieur

A – Bureaux spéciaux

Avec la mobilisation, la poste civile, même très efficace fut par endroit incapable de faire face à l’afflux de correspondances dans des zones exclusivement militaires : c’est le cas des casernes, des camps, des cantonnements, de certains bureaux civils de quartier ayant développé un usage exclusivement militaire.

Ainsi on a créé l’estampille du camp de Mailly, dans l’Aube, avec cachet à date transformé : « Mailly Camp » étant devenu « Mailly Militaire » , ou de Toulon qui s’est doté alors non pas d’un cachet à date, mais d’une griffe linéaire.

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Camp de Mailly (Aube), 21 septembre 1920 pour Besançon.
L’empreinte est devenue « Mailly Militaire » durant la guerre pour le rester ensuite.

Certains établissements de la Défense Nationale utilisèrent des cachets postaux civils spécialement créés pour l’occasion, comme celui de la Poudrerie Nationale d’Angoulême ou des camps répartis sur le territoire, tels que le camp du Ruchard (Indre-et-Loire).

Ce camp, établi en 1873, abritait une école de tir jusqu’en 1914. Pendant la Première Guerre mondiale, il servit d’abord à héberger des prisonniers allemands, mais jugé inadapté, il fut transformé en lieu de convalescence pour soldats belges malades ou blessés. Entre le 31 décembre 1914 et le 14 juillet 1917, près de 9 600 convalescents belges y furent accueillis.

63 d’entre eux reposent aujourd’hui au cimetière communal, où un monument commémoratif honore leur mémoire.

Camp du Ruchard

B – Marques des vaguemestres

1) Le retour à l’envoyeur

Tout comme ceux du front, les vaguemestres des dépôts durent faire face et à l’abondance de la correspondance et à la difficulté de l’acheminement. Pour les plis recommandés, on a très vite pratiqué le retour à l’envoyeur. Les autres correspondances restaient cependant en souffrance. Le 6 décembre 1914, le ministère décida de liquider toute cette correspondance : toutes les lettres furent traitées, certaines renvoyées aux expéditeurs, d’autres aux rebuts.

Cette circulaire imposait à tous une estampille commune : LE DESTINATAIRE N’A PU ÊTRE JOINT EN TEMPS UTILE. Il y en eut de toutes les couleurs et de toutes les formes, sur une ou plusieurs lignes. Plus tard l’expression fut modifiée, « JOINT » devint « ATTEINT », et « EN TEMPS UTILE » devient « EN TEMPS VOULU », puis fut supprimée.

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Sur 3 lignes en minuscules : « Retour à l’envoyeur / Le destinataire n’a pu être / atteint en temps utile » ancre violette – 18 août 1914

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En 2 griffes violette, en minuscules : « RETOUR à l’Envoyeur »  et  « Le destinataire n’a pu être atteint », – 2 septembre 1914

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En 2 griffes noires, en majuscules: « RETOUR à L’ENVOYEUR »  et  « LE DESTINATAIRE N’A PU ÊTRE ATTEINT », 19 septembre 1915

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Sur 2 lignes en rouge : « Retour à l’envoyeur / le destinataire n’a pu être atteint », 14 novembre 1915

Pour indiquer le renvoi sur le bureau initial, on apposa en accord avec le bureau de poste civile de la localité la griffe « RETOUR / A L’ENVOYEUR / Numéro » Ce numéro étant un numéro d’ordre de la nomenclature des bureaux.

2) Acheminement impossible

Dans certain cas, du fait de l’interruption du service postal, l’acheminement devenait objectivement impossible. Pour retourner le courrier à l’expéditeur, du moins au service initial, on apposa alors le cachet « LIEU DE DESTINATION ENVAHI » puis la griffe « ACHEMINEMENT IMPOSSIBLE » qu’on ne doit pas confondre avec la précédente. Ce fut le cas en août 1914 lorsque le service a été interrompu avec l’Allemagne ou l’Autriche, par exemple.

Amiens, 30 août 1914 pour Gueudecourt (Somme) : rupture du service postal, « Lieu de destination envahi »

Moins proche de nous, l’acheminement fut rendu impossible durant l’opération des Dardanelles :

acheminement imp. Dardanelles
Paris, 8 novembre 1914 pour Bache Kalé (Turquie) : griffe bleue sur 3 lignes « RETOUR/A L’ENVOYEUR/RECLAMATIONS » et griffe sur 2 lignes : « RETOUR A L’ENVOYEUR / ACHEMINEMENT IMPOSSIBLE »

Ce fut le cas aussi pour la Russie, après la signature de l’armistice de Brest Litovsk avec l’Allemagne en décembre 1917  puis la paix de Brest Litovsk le 3 mars 1918.

Paris, 7 janvier 1918 pour Moscou : Griffe encadrée « ACHEMINEMENT IMPOSSIBLE » du fait de la rupture du service postal

Cette situation a duré bien après l’armistice du fait de la guerre en Russie entre les forces russes opposées au gouvernement soviétique (Blancs, socialistes modérés) et les puissances étrangères (Japon, France, Royaume-Uni, Légion tchèque…).

Acheminement impossible Estonie 1919

Paris, 14 mars 1919 pour Reval (Estonie, auj Tallinn depuis l’indépendance de février 1918) :
Griffe encadrée « ACHEMINEMENT IMPOSSIBLE ». La guerre dura en Estonie jusqu’au 2 février 1920

Cette interruption de service n’était pas inconnue. Cela avait déjà été le cas en 1912 au moment de la guerre balkanique qui opposait Empire Ottoman et Monténégro
Acheminement imp Turquie 1912

Paris, 14 octobre 1912 lettre recommandée pour GUENGUELI (Turquie) avec mention manuscrite « retour cause guerre »
3) Autres mentions

Il existe des centaines, sans doute, de marques de nature postale pour donner la franchise à l’intérieur aux militaires. Certaines marques sont des griffes linéaires de fabrication locales, ainsi la griffe du dépôt des éclopés ce dessous :

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Griffe linéaire du dépôt des éclopés, 24 octobre 1915, pour Londres, Royaume Uni

Cependant, très souvent on retrouva l’ancienne marque de Franchise Militaire, en modernisant ce matériel : au centre on mit le plus souvent « service postal », ou « service des postes ».

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Cachet rond avec mention « service postal », dépôt du 102ème régiment d’artillerie lourde, 26 août 1917, pour Solliat, Suisse
depot-chaumont-pngCachet rond avec mention « service postal », dépôt du 109ème régiment d’infanterie, 16 septembre 1915, pour Genève, Suisse

Enfin, on ne mit bientôt plus que le simple titre de « vaguemestre » autour en cercle, la nature ou le lieu : « convois automobiles », « dépôt de … », « école militaire de… », ou encore un cachet de type déesse assise :

LSE 13 08:15 Angleterre
Intendance militaire de Dijon, 13 août 1915, pour Londres, Royaume Uni

Quand une correspondance est à destination d’un inconnu, on doit le préciser : « inconnu au dépôt », « inconnu aux hôpitaux », « inconnu au dépôt d’Éclopés » etc. et, lorsqu’il n’y a aucune indication de provenance sur la correspondance, il faut faire retour au service des rebuts. Dès lors la pièce est retournée par le service des Rebuts de Paris et la griffe linéaire classique des rebuts est apposée sur deux lignes : « Bureau Central des Rebuts / Paris ». Quelques vaguemestres utilisèrent cependant des griffes linéaires de fabrication locale pour indiquer ce versement au service directement.