Le contrôle postal dans la zone des armées après juillet 1915

I – La réorganisation du contrôle après 1915

Au début de la guerre, le système postal était improvisé, mais en juillet 1915, il a été réorganisé dans les zones militaires et à l’intérieur. Un retard systématique était appliqué selon les plans de bataille. Trois commissions de contrôle pouvaient exister : dans les bureaux payeurs, aux frontières et dans les bureaux civils des zones militaires. Cependant, le volume de courrier contrôlé était faible par rapport au total échangé, rendant le contrôle inefficace et non représentatif des opérations et du moral des troupes.

Marques de contrôle : griffe « CONTRÔLÉ PAR L’AUTORITÉ MILITAIRE »

On trouve de nombreux modèles de griffe, avec des encres variées comme « CONTRÔLÉ », « VISÉ » ou « VU ». Ces griffes peuvent être encadrées, décorées (avec des étoiles ou un doigt pointé), et composées d’une, deux ou trois lignes.

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24 octobre 1915 : contrôle par l’autorité militaire, cachet du bureau frontière M

Marques de contrôle : cachet rond ou ovale « CONTRÔLÉ PAR L’AUTORITÉ MILITAIRE »

À côté des nombreux modèles de griffes, il existe également une grande variété de cachets circulaires ou ovales, les types de cachets étant probablement plus nombreux que ceux des griffes.

Controle militaire bureau
25 juillet 1916 : contrôle par l’autorité militaire, cachet ovale du bureau frontière A
Cachet ovale controle correspondance

II – Instruction du 1er décembre 1916

En novembre 1916, le contrôle postal des armées a été réorganisé avec la suppression des CCP existantes et la création d’une CCP par armée aux bureaux frontières. J. Bourguignat décrit un document de 35 pages qui établit cette instruction (op cit, pp 120 et suivantes). Dans la zone des armées, il n’y avait pas de distinction entre les correspondances civiles et militaires. Les CCP des armées ont fonctionné de manière similaire aux CCP de l’intérieur pour les instructions sur les correspondances, comme les envois recommandés. Elles devaient communiquer avec la Section de Renseignements aux Armées (SRA), qui était l’organe central du contrôle, recevant des rapports hebdomadaires des 28 CCP et tenant des listes de personnel, tout en établissant des rapports sur la correspondance militaire et l’état de l’opinion à l’étranger, en plus de servir de lien entre différents ministères et de contribuer à la réglementation.

A – cachets à numéro de la zone des armées

Le 17 septembre 1916 la SRA décida d’attribuer des numéros aux CCP des armées, comme cela avait été le cas pour les CCP de l’intérieur. Ces cachets présentent un ovale double avec la mention « contrôlé par l’autorité militaire » et un numéro d’ordre (chiffre en italiques) affecté à chaque officier lecteur.

1ère arméenuméros 1 à 12
2ème arméenuméros 13 à 39
3ème arméenuméros 40 à 51
4ème arméenuméros 52 à 64
5ème arméenuméros 65 à 82
6ème arméenuméros 83 à 121
7ème arméenuméros 122 à 131
10ème arméenuméros 132 à 149
36ème Corps d’arméenuméros 160 à 175

S’y ajoutent les numéros 176 à 186 de la mission militaire française auprès de l’armée britannique et des affectations diverses pour les derniers numéros de 187 à 195.

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 6 février 1917, contrôlé par l’autorité militaire, cachet 1, 1ere armée
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21 septembre 1917 : contrôlé par l’autorité militaire, cachet 110, 6ème armée
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14 octobre 1917 : contrôlé par l’autorité militaire, cachet 116, 6ème armée, correspondance contrôlée une seconde fois par la CCP de Belfort
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29 février 1916 : contrôlé par l’autorité militaire, cachet 130, 7ème armée pour Mansourah (Égypte)

Une série 301 à 320 a existé pour le contrôle de la correspondance civile des armées d’Orient mais ne fut presque pas utilisée car l’Armée d’Orient avait mis en place ses propres cachets, ainsi que des cachets ovales à chiffres droits numérotés de 1 à 10.

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30 juillet 1919, « censure militaire française / Smyrne », cachet local (caoutchouc, abimé) de l’Armée d’Orient
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28 août 1919, contrôlé par l’autorité militaire, cachet 1 à chiffre droit de l’Armée d’Orient.
Recto : bande de contrôle oblitérée avec le même cachet + cachet « NO » de l’Armée d’Orient
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 13 février 1918, contrôlé par l’autorité militaire, cachet 4 à chiffre droit de l’Armée d’Orient pour Port Saïd (Égypte)

Toutefois, il fut encore possible de reconstituer l’ordre de bataille. C’est pourquoi, en mars 1917, les CCP reçurent toutes des numéros de 1 à 10, numéros qu’elles devaient utilisés au cours de la même journée. En attendant d’être livrées, les CCP évidèrent le centre de leur cachet et portèrent ce numéro de 1 à 10 à la main.

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18 avril 1917 : contrôlé par l’autorité militaire, cachet 4 écrit à la main, identification impossible
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15 juin 1917 : contrôlé par l’autorité militaire, cachet 4, identification impossible a priori mais le cachet des convois autos à Paris avec mention de l’ALGP (artillerie lourde de grande puissance) semble bien être une indiscrétion
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15 juin 1917 : contrôlé par l’autorité militaire, cachet 4 frappé en bleu, identification impossible,
contrôlé une seconde fois à Pontarlier à le CCP frontière pour Berne.

B – Contrôle des correspondances civiles de la zone des armées

Les civils dans la zone des armées avaient leur courrier vérifié par les militaires. La correspondance pour les destinataires locaux n’était contrôlée qu’en cas de besoin. En revanche, celle pour les pays neutres devait être entièrement vérifiée. La Suisse acceptait les courriers vers les territoires envahis ou les prisonniers. Tous ces messages étaient ouverts, contrôlés localement, puis envoyés à la CCP frontière en fonction de leur destination.

28 juillet 1917, lettre civile de Boulogne sur Mer (expéditeur en suscription Transports Bigand) pour Sheffield. Le pli fut contrôlé localement par la CCP militaire : griffe « Commission de Contrôle Postal / DE / BOULOGNE S/MER »

C – Correspondances des militaires et travailleurs coloniaux

Les troupes coloniales ont été surveillées dès le 9 novembre 1914, car on craignait qu’elles ne soient pas fidèles à la République. En novembre 1915, le contrôle des zones militaires a été étendu aux militaires indigènes, y compris à l’intérieur des terres. Les officiers interprètes en arabe devaient écrire les lettres et les surveiller. Ils étaient responsables de rassembler les correspondances pour les envoyer par la poste militaire, évitant l’envoi direct par la poste civile. En pratique, les cachets des interprètes servaient de contrôle postal militaire.

Le travail des interprètes pour les travailleurs coloniaux a augmenté avec l’arrivée massive de ces travailleurs en métropole, qui remplaçaient les ouvriers partis au front, attirés par des salaires attractifs. Ils étaient répartis sur tout le territoire, souvent concentrés dans des camps de regroupement autour de Marseille et dans la vallée du Rhône, notamment à Lyon, où ils étaient employés dans des industries chimiques et d’armement.

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22 juin 1918, lettre recommandée de Livet et Gavet (Isère) pour Grignan (Drôme),
d’un interprète de langue chinoise au groupement des travailleurs chinois.

D – Correspondance des marraines de guerre

L’idée des marraines de guerre est née au début de 1915 pour aider les soldats des régions envahies par l’ennemi, qui n’avaient aucune nouvelle de leurs familles. Des femmes de la haute société ont proposé d’écrire des lettres et d’envoyer des colis aux soldats. En janvier 1915, l’association « La famille du soldat » a été créée, suivie par « Mon soldat », soutenue par le ministère de la guerre. De nombreux journaux comme le Temps et le Figaro ont encouragé ces initiatives et ont mis en relation les marraines avec les soldats. La demande de « marrainage » est rapidement devenue si élevée qu’il a fallu chercher des marraines à l’étranger, en Suisse et aux États-Unis, en publiant des annonces dans le Washington Post et le New York Herald.

L’armée n’aimait pas l’idée de « marrainage » avec l’étranger, craignant des agents ennemis. Cette pratique fut interdite en février 1916, puis autorisée à nouveau le 29 mars pour la Suisse et le 24 avril pour les États-Unis. Le 1er juin, les lettres furent retournées avec la mention « non admis« . Après l’entrée en guerre des États-Unis, le « marrainage » redevint possible, mais seulement à travers des œuvres reconnues.

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17 août 1917, lettre du sp 76 pour mademoiselle LeBesque, couvent du Sacré Cœur à Fairhaven, Massachusetts, États Unis,
sans doute une marraine pour laquelle le courrier était possible (l’Église est une « œuvre connue »)

III – Le contrôle des troupes étrangères en France

A – Corps expéditionnaire britannique

Lorsque le B.E.F. est arrivé en France, les troupes ont bénéficié d’un tarif postal réduit d’un penny pour le courrier vers les îles britanniques au lieu de 2d. Au début des combats, les soldats ne pouvaient pas toujours acheter de timbres, mais le privilège postal a été étendu, permettant aux destinataires de payer uniquement le « port dû » sur les lettres non timbrées. Depuis le 31 août 1914, le ministère a accordé la franchise militaire aux troupes en service actif en raison de l’augmentation du courrier.

Comme pour les armées françaises un contrôle postal fut mis en place assez tôt. Après avoir été remise non cachetée, la lettre étaient lue, puis transmise à l’officier en charge de la censure qui la contresignait avant d’y apposer son propre cachet.  Il y eut au total six marques différentes :

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Le premier timbre de censure était circulaire (type CM1). En novembre 1914, une nouvelle série (type CM2) a été émise, remplacée en avril 1915 par un cachet triangulaire (type CM3). En janvier 1916, il est devenu hexagonal (CM4), puis en novembre, ovale (CM5). La sixième version est apparue en octobre 1917 avec un motif rectangulaire (type CM6), utilisé jusqu’à la fin de la guerre, également par l’armée américaine.

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Lettre du 29 juillet 1918 pour Lausanne (arrivée le 10 août), Field Post Office 3

Ce courrier porte un timbre à date britannique « FIELD POST OFFICE 3 » sur un timbre français semeuse à 25c validant l’affranchissement pour l’étranger de la lettre simple premier échelon (il faut se souvenir que la franchise était accordée pour les militaires en service actif pour la Grande Bretagne).

La lettre a été ouverte par l’officier en charge de la censure, il l’a ensuite refermée avec l’étiquette de service puis a apposé son propre cachet de type CM 6, n° 5096 : les numéros des cachets de censure étaient donnés aléatoirement afin de ne pas permettre l’identification du lieu de censure.

Un petit contingent fut envoyé en France et débarqua le 26 juin 1917 à Saint-Nazaire. D’autres arrivèrent à Bordeaux en juillet et à Brest le 12 novembre. Le général Pershing, chef de ce détachement américain, voulait que le corps expéditionnaire soit indépendant des armées britanniques et françaises. Dès le 21 octobre, les 14 500 hommes de la 1ère division d’infanterie américaine furent envoyés dans un secteur calme du front, près de Toul. À ces dates, tout le courrier était déjà contrôlé.

Le 28 juin 1917 puis le 1er juillet, deux mesures étaient prises :

Les agents postaux des services postaux de l’armée américaine ne distribueront pas une correspondance qui ne serait pas proprement timbrée avec les timbres de censure. Proprement timbrée avec les timbres de censure, marquée « lettre de soldat » et contresignée par un officier, la correspondance sera, depuis sa base, délivrée à destination, sans prépaiement du port et seulement en simple taxe collectée au moment de la remise.

Ceci complétait les instructions précédentes du 28 juin 1917 :

  1. Aucune mention sensible, « dangerous information », géographique ou militaire ou de quelque nature que ce soit, y compris le nom du soldat, sa compagnie ou toute autre information, aucune photographie ne devait figurer dans la correspondance.
  2. La correspondance ne devait pas être affranchie, ni cachetée, mais revêtue des termes « soldiers letter ».
  3. Un officier responsable devait contresigner la lettre dans le coin inférieur gauche après en avoir vérifié le contenu et la revêtir de son propre cachet de censure, ces cachets étaient par ailleurs enregistrés et numérotés.
  4. Toute lettre ouverte par la censure était refermée avec une étiquette « examined by censor ».
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  5. Les lettres de civils travaillant avec l’armée étaient directement remises aux officiers responsables, les lettres des troupes françaises en opération en secteur américain étaient remises à l’autorité française militaire la plus proche.
  6. L’usage de la poste civile dans les zones contrôlées par l’armée américaine était interdite.
  7. La correspondance à destination de l’étranger devait être directement transmise à la commission de censure, « base censor ».

Cette commission de censure, « base censor », pouvait en outre aléatoirement vérifier le courrier.

Ainsi donc les membres de l’armée américaine n’avaient pas de franchise à proprement parler et devaient affranchir leur courrier selon les tarifs en vigueur pour toute destination autres que les États Unis.

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19 septembre 1917, camp de Gondrecourt (Meuse), pour Paris,
affranchissement à 25c avec cachet de l’armée américaine. Lettre signée Bailey K. Ashford.

C – Troupes belges

voir aussi notre page poste belge en France et poste militaire belge

La censure belge a commencé en février 1915, visant à contrôler les correspondances vers les Pays-Bas, qui étaient neutres et pouvaient servir d’intermédiaires pour l’Allemagne. Les civils belges réfugiés en France utilisaient la poste civile, tandis que les militaires en campagne envoyaient leur courrier via la poste militaire. Chaque grande unité de l’armée belge avait un cachet avec son numéro de division, ce qui rend l’identification du timbre facile, bien qu’il existe de nombreuses variantes.

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Sans numéro, bureau centralisateur principal à Calais, 20 juillet 1915

Le contrôle se faisait pour chaque corps d’armée, puis dans deux commissions, une à Calais et une à Folkestone. Ces commissions avaient des cachets spécifiques et des bandes de fermeture. Chaque bande blanche devait porter le numéro et la signature du lecteur. Les bandes vertes de Calais et roses de Folkestone montraient que le courrier n’avait pas été lu mais qu’il avait été examiné chimiquement.

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Postes militaires belges, Calais pour Dordrecht, Pays Bas. Contrôle militaire effectué à Calais, avec recherche chimique.
Notons que le destinataire, Jean Tordeur, était connu pour être un passeur de courrier avec les régions belges envahies, via les Pays Bas.

Quand les correspondances étaient transmises au GQG, parce que cela intéressait le service des renseignements, ou que le sens fut douteux, celui-ci apposait un cachet humide « VU: à la censure du C.Q.G Belge/ Le Chef de bureau« 

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D – Autres troupes : russes, italiennes, portugaises, polonaises…

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